Du 28 avril au 9 mai à l’ONU, se déroule le troisième et dernier Comité préparatoire du Traité de non-prolifération (TNP) avant la conférence d’examen de 2015. Une délégation d’Armes nucléaires STOP est présente à New York. Jour après jour, retrouvez ci-dessous le billet de Dominique Lalanne.
Billet du 2 mai 2014, 5e jour
Séance en Assemblée générale sur le sujet particulier du désarmement nucléaire.
La France rappelle son credo : « Le désarmement nucléaire ne peut se faire qu’étape par étape, à travers une succession de gestes concrets et progressifs. C’est la seule démarche efficace ; c’est celle du plan d’action de 2010 adopté par consensus. Certaines initiatives récentes, en revanche, conduites dans des enceintes parallèles, privilégient des approches dogmatiques, qui font naître des attentes irréalistes et détournent de la recherche de mesures concrètes tenant compte du contexte stratégique réel. Elles ne font que fragiliser le plan d’action et le processus d’examen du TNP qui nous réunit ici et ne tiennent pas compte des contraintes de sécurité. »
Ce discours martelé à chaque intervention est intéressant sur de nombreux points. Mentionner le plan d’action de 2010 que la France n’a quasiment pas respecté est une façon très diplomatique de nier la réalité. Les « initiatives conduites dans des enceintes parallèles » sont les conférences sur les conséquences humanitaires, mais le mot lui même ne doit pas être prononcé tellement le projet est détesté… Enfin, il est noté deux fois dans ce court paragraphe le mot « concret », qui veut faire croire que la proposition de Traité d’interdiction des armes nucléaires n’a aucune répercussion pratique.
Le « plan d’action de 2010 » prévoyait 22 mesures de désarmement à mettre en œuvre avant 2015. Le jugement des États non-nucléaires et des ONG est clair : ces engagements n’ont pas été honorés. Mais la diplomatie française écrit « sa » réalité en contradiction flagrante avec les faits.
Exemple sur la réduction de l’état d’alerte. La Suisse est intervenue au nom du « de-alerting group », le groupe d’États qui demande la diminution de l’état d’alerte des forces nucléaires. Un bon point est souligné : dans leurs rapports sur les actions menées depuis 2010, les États nucléaires mentionnent le problème de l’état d’alerte. Mais un mauvais point suit immédiatement : aucun changement sur le niveau d’alerte ne peut être noté : 2 000 bombes sont toujours en état d’alerte avec une possibilité de frappe en quelques minutes. Pour la France et le Royaume Uni, il est vrai que ce délai est plutôt de quelques heures… mais encore une fois, rien de nouveau depuis 2010.
La diplomatie des pays nucléaires a conscience de la difficulté à présenter de « nouvelles mesures depuis 2010 ». D’où les présentations de longs rapports qui reprennent toutes les anciennes mesures. Pour les États nucléaires, les arsenaux ont atteint leur « minimum de stricte suffisance ». Chacun l’a rappelé dans son intervention.
Une petite lueur d’espoir. Dans la présentation ce matin de l’Union européenne il est exprimé une demande d’efforts à ses deux États nucléaires : « Nous soulignons la nécessité pour la France et le Royaume-Uni de prendre des mesures concrètes de réduction de leurs arsenaux nucléaires. » Et une mention timide qu’il n’existe pas qu’un seul point de vue : « Certains États de l’Union, souhaitent qu’il soit abordé le sujet des conséquences humanitaires. » Une timide, très timide, critique.
Les interventions de ce jour sont disponibles ici.
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Billet du 1er mai 2014, 4e jour
Après les séances des plénières des 3 premiers jours, les séances de travail sur des sujets ponctuels ont commencé par la non-prolifération.
Autant dire que les États nucléaires se sentent à l’aise sur une telle préoccupation qui leur semble la raison d’être du TNP.
L’Union européenne a repris les arguments de sa déclaration générale avec le soutien de l’Ukraine et de la Géorgie. La Corée du Nord est condamnée sur de nombreux aspects : ses essais nucléaires, ses lancements de satellites, son programme d’enrichissement d’uranium, sa construction d’un réacteur nucléaire, le lancement de missiles de courte portée en mai 2013 et en février et mars 2014. Toutes ces actions sont jugées des violation du droit international. Dans le cas de l’Iran, le jugement est moins négatif que celui porté par la France deux jours auparavant. L’Union européenne salue les discussions entre l’Iran et l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, et les « 7 mesures pratiques qui devront être mises en œuvre le 15 mai prochain sont un pas dans la bonne direction ».
L’Ukraine a saisi l’opportunité de cette assemblée pour dénoncer « l’agression de la Russie qui a annexé le territoire de la Crimée : de telles actions sont particulièrement cyniques alors que le mémorandum d’accession de l’Ukraine au TNP de décembre 1994 était associé à des accords bilatéraux et internationaux de garantie de son intégrité territoriale ». Un discours qui ne suscite pas de nombreux échos à part celui de l’Union européenne.
Les rencontres informelles entre les ambassadeurs et les ONG apportent parfois plus de lumières que les discours en assemblée. Pourquoi les États nucléaires sont-ils opposés aux conférences sur les « conséquences humanitaires » ? Réponse de l’ambassadeur français Jean-Hugues Simon Michel : « À cause du mot “humanitaire” ». D’après l’ambassadeur « humanitaire signifie sans réciprocité et sans sécurité, deux exigences indispensables pour la France ». Une réflexion intéressante. Il est vrai que dans la démarche humanitaire, la réciprocité n’est pas encadrée par un accord de simultanéité, mais par la pression diplomatique créée. Ainsi sur les armes chimiques, la Syrie a récemment été « obligée » à la réciprocité. Mais n’est-ce pas une autre voie diplomatique à explorer ? Et sur la sécurité, pour l’interdiction des mines antipersonnel, les pays possesseurs avaient refusé le processus au début des négociations, en soulignant la nécessité des mines pour la sécurité de leurs troupes. Une exigence qui s’est avérée inutile après les réflexions sur les réalités de terrain.
De petits exemples qui montrent que la présence des ONG dans l’enceinte de l’ONU peut ouvrir des brèches. Mais les ambassadeurs feront-ils remonter les messages ?
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Billet du 30 avril 2014, 3e jour
Les puissances nucléaires du Traité de non-prolifération ont produit leur rapport sur les mesures de désarmement qu’elles ont adoptées depuis 2010 comme elles s’y étaient engagées dans la dernière conférence d’examen. Ces rapports sont disponibles pour tout un chacun sur le site de Reaching Critical Will et chacun pourra se faire sa propre opinion.
Pour ceux qui veulent un réel processus de désarmement, le compte n’y est pas. Passons sur les listes de mesures anciennes qui sont toujours rappelées. Mais les nouvelles mesures ne remettent pas en cause les « doctrines de sécurité » ni ne changent le dimensionnement des arsenaux. En fait, il n’y a pas de « nouvelles mesures »…
Pour la France, « l’arme nucléaire s’inscrit dans un concept de dissuasion, non dans une logique d’emploi ». Cela signifie-t-il que la possibilité exprimée dans les discours présidentiels remontant à quelques années de frappe dite « d’avertissement » n’est plus envisagée ? Cette posture a toujours été faite sans renier la « frappe d’avertissement », frappe qui n’a jamais été mentionnée dans une conférence du TNP. Cela laisse donc à penser qu’il n’y a pas de modification de doctrine… Des « garanties de sécurité » sont données aux États « membres du TNP qui respectent leurs engagements de non-prolifération » mais… « sauf en cas de légitime défense ». Quant à « l’état d’alerte » il est laissé à l’appréciation du Président de la République. Des engagements que nous avons entendus depuis de très nombreuses années. Pas de réduction du nombre de missiles, la France est à son « niveau de stricte suffisance », 300 bombes nucléaires en service. Un long rapport qui n’apporte rien de nouveau.
Le rapport des États-Unis est, lui aussi, du même genre. Sauf que la « stricte suffisance sera de 1 550 têtes nucléaires déployées en 2018 » conformément au traité signé avec la Russie. Un projet toutefois : celui de demander au Département de la Défense de réduire le niveau d’alerte, en admettant que la probabilité d’attaque par surprise est faible… Une intention louable, mais une intention… assez peu précise en fait.
La Chine renouvelle son engagement au « no first use », « pas de tir en premier ». Mais là aussi, rien de nouveau, cet engagement est ancien. Quant à son arsenal, il est aussi à son niveau de « stricte suffisance »…
Une journée décevante. Et qui prouve une fois de plus l’incapacité du TNP à mettre en mouvement un processus de désarmement nucléaire.
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Billet du 29 avril 2014, 2e jour
L’Union européenne est confronté à une difficulté. Depuis 2007, elle se doit de faire une déclaration à la PrepCom puisque le Parlement européen en a voté la décision. Mais cette année, il y a de l’eau dans le gaz. Sur les 28 États membres, 22 ont participé aux conférences d’Oslo et de Nayarit sur les « effets humanitaires catastrophiques d’une frappe nucléaire ». Et ils sont convaincus que la prochaine conférence à Vienne en décembre 2014 sera importante. Mais la France et le Royaume Uni y sont totalement opposés. Négociation difficile qui se termine par une absence de proposition puisqu’un accord est impossible.
L’intervention ce matin de M. Jacek Bylica au nom de l’Union européenne en est une illustration parfaite. L’attention est d’abord portée à l’Ukraine pour dénoncer « l’agression de la Russie ». Il faut dire que l’Ukraine s’est associée à la présentation de l’UE…. Sont passés en revue ensuite tous les sujets complètement bloqués depuis 20 ans et qui sont les obsessions des pays nucléaires présentées comme les étapes incontournables d’un désarmement « pas à pas » : le traité d’interdiction de matière fissile, celui d’interdiction des essais nucléaires, le projet de zone exempte d’arme nucléaire au Moyen-Orient en sont les exemples récurrents. Aucune mention des Conférences sur les conséquences humanitaires comme si elles n’avaient pas existé… Enfin sont exprimées les préoccupations des dangers jugés actuels : la Corée du Nord et l’Iran… L’Union européenne aurait-elle abandonné tout esprit critique ?
Les ONG présentes organisent chaque jour des débats et des rencontres avec les diplomates en sessions parallèles. Une nouvelle étude a été présentée par l’institut britannique Chatham House sur les cas connus où les armes nucléaires ont failli être utilisées. L’humanité est passé plusieurs fois au bord de l’apocalypse par folie… ou par erreur. Une étude intéressante pour convaincre ceux qui croient à la sécurité apportée par de telles armes.
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L’après-midi de ce deuxième jour a vu l’intervention des ONG qui ont présenté depuis la tribune le questionnement qu’elles souhaitent proposer aux diplomates :
- Comment faire cohabiter les deux démarches conférences humanitaires et progrès « pas à pas » ? Ne serait-ce pas possible seulement si tous les États participent aux deux démarches ?
- Ne faut-il pas évoluer vers un autre jugement sur la « dissuasion nucléaire » qui ne serait pas une protection mais une menace ? Le livre récent d’Eric Schlosser montre les cas de guerres nucléaires évitées de justesse, y compris jusqu’à une date récente.
- Pourquoi les armes nucléaires ne sont pas traitées comme des armes, ce qu’elles sont ? Tout le monde est d’accord pour éliminer les autres armes de destruction massive. Pourquoi un tel traité n’existe pas pour les armes nucléaires ?
Une nouvelle initiative est nécessaire, alors peut-on poser la question qu’il faut que ce soit dans le cadre de l’ONU ou en dehors ?
Cette PrepCom s’annonce mal. Le blocage organisé par la France sera-t-il contourné par un des autres États nucléaires présents dans cette enceinte ?
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Billet du 28 avril 2014, 1er jour
Une dizaine de Français parmi les 300 représentants des associations opposées aux armes nucléaires ont participé à la première réunion à l’ONU ce jour lors de l’ouverture de la session du Traité de non prolifération, le 3ème Comité préparatoire de la Conférence d’examen de 2015.
Le président de la conférence, l’ambassadeur du Pérou, M. Enrique Roman-Morey, a rappelé la dynamique ouverte en 2010 par la conférence précédente : la mise en œuvre de mesures précises de désarmement nucléaire. « L’idée de désarmement ne doit pas être remplacée par l’idée de dissuasion », a-t-il insisté pour alerter les représentants des pays nucléaires que quasiment aucune des mesures demandées en 2010 n’a été honorée actuellement.
La première session de la Conférence a permis au représentant des îles Marshall de faire officiellement l’annonce que son pays, minuscule pays de l’océan Pacifique, attaque en justice les 9 pays nucléaires actuels auprès de la Cour de justice internationale pour non-respect de leur engagement à un processus de désarmement nucléaire. « Je suis une des victimes des essais nucléaires américains, j’avais 9 ans en 1954 quand j’ai vu l’éclair blanc du flash de la bombe « Bravo » d’une puissance de 1 000 Hiroshima. » Événement rare dans une enceinte de l’ONU, l’ambassadeur s’est fait applaudir par les représentants des ONG.
De nombreux interventions de coalitions d’États ont salué les conférences d’Oslo (2013) et Nayarit (2014) qui ont analysé les « conséquences catastrophiques humanitaires d’une frappe nucléaire ». Et la nécessité d’élaborer un nouveau traité d’interdiction des armes nucléaires.
L’ambassadeur de France, M. Jean-Hugues Simon-Michel est intervenu dans l’après-midi pour dénoncer les « graves menaces sur la sécurité créées par le programme de modernisation de la Corée du Nord et par l’Iran avec lequel il faut maintenant arriver à négocier des mesures précises ». Et enfin la perle de ce discours sur les efforts français : « La France a beaucoup travaillé depuis 2010… pour préciser la terminologie sur la transparence des informations. » Au lieu de s’occuper de désarmement, il est vrai qu’on peut toujours parler de vocabulaire. L’ambassadeur a été très clair pour dénoncer ceux qui « fragilisent les structures existantes par des structures parallèles ». Comprenez : ceux qui organisent des conférences où l’on parle de conséquences humanitaires et de désarmement.
Comme d’habitude, la France veut rester le leader de l’opposition au désarmement nucléaire !
Dominique Lalanne